La maladie infantile de l’Emsav
« Na ruz na gwenn, Breizhad hepken ! » (Ni rouge ni blanc, breton seulement !), ce slogan rabâché depuis des décennies par des militants bretons mal inspirés, synthétise à merveille ce qu’on peut considérer comme la maladie infantile du mouvement breton. C’est certainement le slogan le plus handicapant et problématique de l’histoire de l’Emsav, au sens où il est une négation même de la politique, un refus de réfléchir à la réalité. Comment peut-on croire sincèrement que les grands patrons du Club des Trente partagent les mêmes intérêts que les ouvriers de l’agro-alimentaire ou les petits agriculteurs qui ne gagnent même pas le SMIC ? La Bretagne est-elle une cause en soi ? Non, bien entendu. Par contre, on peut lutter pour une Bretagne plus solidaire, plus démocratique, plus libre. C’est avec un projet qu’on fait de la politique, pas avec une identité.
D’autant plus que, en réalité, le slogan « ni gauche ni droite » veut toujours dire « ni gauche ni gauche ». Et tous ceux qui le mettent en avant, à l’instar de Jean-Pierre Le Mat, sont clairement ancrés à droite, voire à la droite de la droite, mais n’osent pas assumer leurs propres idées. Le « na ruz na gwenn » c’est clairement le slogan du nationalisme fermé, qui se regarde le nombril et refuse de s’ouvrir au monde. Or comment servir la Bretagne en refusant de réfléchir et de s’ouvrir au monde ?
Faire abstraction de l’axe gauche-droite, faire comme si la majorité des électeurs ne se situaient pas par rapport à cet axe, est aussi une erreur de communication et donc une impasse stratégique. Si on peut admettre que l’axe gauche-droite ne doit pas être l’alpha et l’oméga de toute position politique, cet axe structure la vision de la majorité des électeurs. Or en politique, si on veut changer la réalité on doit partir de la réalité, et non pas l’ignorer, faire comme si elle n’existait pas.
Les autonomistes, majoritairement de gauche
Les nationalistes bretons qui affichent le « ni gauche ni droite » assurent que c’est une division française, qui n’a pas lieu d’être en Bretagne. Pourtant un minimum de culture politique sur ce qui se passe chez nos voisins permet de se rendre compte que c’est complètement faux. Cette division existe dans toutes les démocraties, parce qu’elle donne sens au débat politique (certes en le simplifiant parfois à outrance).
D’ailleurs, la plupart des partis autonomistes à succès en occident sont clairement à gauche ou au centre gauche. Ainsi, le SNP, en Écosse, et le Plaid Cymru, au Pays de Galles, sont bien plus à gauches et écologistes que le Labour. Le Parti Québécois au Québec peut sans problème être défini comme un parti social-démocrate. Le BNG, en Galice, est situé sans ambiguïté à la gauche du PSOE, avec des propositions sociales très fortes. Enfin, ERC, en Catalogne, et les partis qui constituent Amaiur, au Pays Basque, sont fortement ancrés à gauche, certes quant à eux confrontés à un parti nationaliste de droite. Et n’allez surtout pas dire à ces partis qu’ils sont « ni gauche ni droite ».
Des partis nationalistes de droite existent aussi. Mentionnons le PNV au Pays Basque, CiU en Catalogne et la NVA en Flandres. Mais notons que ces partis existent dans certaines des régions les plus riches d’Europe, où donc un nationalisme libéral ou chrétien-démocrate peut avoir du sens, au service d’une bourgeoisie relativement nombreuse et opulente.
Par contre, il n’existe aucun parti nationaliste ayant connu le succès sans se situer sur l’axe gauche-droite. Le seul contre-exemple, peut-être, étant la Volksunie, en Flandres, mais ce parti lui-même a fini par éclater entre sa tendance gauche et sa tendance droite.
Une liste autonomiste de gauche aux régionales
Ainsi, la liste portée par Christian Troadec et à laquelle participera, semble-t-il, l’UDB a tout intérêt à affirmer son ancrage sans ambiguïté au centre-gauche. Ce sera le centre de gravité, et rien n’interdira d’aller de la gauche au centre, en intégrant sur la liste des écologistes, des sociaux-démocrates, des chrétiens “de progrès”, etc. Le succès de Christian Troadec, jusqu’à présent, repose sur le fait qu’il porte les valeurs de solidarité, de soutien aux populations défavorisées, de progrès social et environnemental.
S’ancrer au centre-gauche découle aussi d’une nécessité stratégique. S’il n’est pas facile de travailler avec le PS, et s’il faut être stupide pour faire confiance à ce parti, il est impossible de travailler avec l’UMP. Or la réalité de l’élection régionale, c’est qu’à un moment il faut faire des alliances pour agir. Ne serait-ce que parce qu’au second tour la liste arrivée en tête obtient d’emblée 25 % des sièges. Si travailler avec Jean-Yves Le Drian n’est certainement pas facile, il a toujours défendu les intérêts de la Bretagne du mieux qu’il a pu. Réformer la Bretagne avec Marc Le Fur est, par contre, inenvisageable. C’est sans aucun doute un régionaliste sincère, avec lequel on peut s’entendre sur les questions linguistiques et institutionnelles, mais il appartient au parti de Nicolas Sarkozy, qui opère une mue de plus en plus forcenée vers le jacobinisme le plus absolu, ce qu’illustre le changement de nom en Les Républicains. Et surtout, en tant qu’homme politique, il a toujours promu le moins disant environnemental et social, la déréglementation à outrance qui a déjà fait tant de mal à la Bretagne. C’est le député des algues vertes, du productivisme agricole. C’est donc un député, qui par ses idées et combats politiques, participe à la destruction de la Bretagne.
L’autonomie pour changer la vie
Les Bretons ne voteront pour les autonomistes que quand on saura leur expliquer en quoi l’autonomie améliorera concrètement leur vie. Les institutions et la langue ne sont pas un programme. Et donc il faut leur parler d’économie, de social, d’environnement, de transports. Et baser ce discours sur les valeurs qui nous unissent. Et ces valeurs sont ceux de solidarité, équité, démocratie, liberté.
Veut-on une Bretagne solidaire ou une Bretagne où augmentent les inégalités ? Veut-on une Bretagne ouverte sur le monde et la diversité ou une Bretagne fermée sur elle-même et raciste ? Veut-on se battre pour améliorer l’environnement des Bretons ou veut-on déréguler pour que les pollueurs fassent ce qu’ils veulent ? Veut-on une politique au service de tous les habitants de la Bretagne, quelles que soient leurs origines, ou veut-on maintenir des discriminations entre ces habitants ? Veut-on favoriser les initiatives coopératives et mutualistes ou veut-on favoriser les grandes multinationales déterritorialisées ?
S’ancrer au centre-gauche, ne signifie pas qu’il faut passer son temps à dire le mot « gauche », comme le fait l’UDB, au risque d’agacer tout le monde. S’ancrer au centre-gauche c’est assumer un vrai projet socio-économique et environnemental pour la Bretagne. Un projet qui tire la Bretagne et les Bretons vers le haut. Mais une liste autonomiste ne connaîtra le succès que si elle sait s’élargir, convaincre au-delà de son camp. La liste doit certes être ancrée sur l’échiquier politique, pour savoir où elle est, mais s’adresser à tous les Bretons. Pour leur expliquer qu’une Bretagne renforcée institutionnellement (autonome) sera une Bretagne plus juste, plus solidaire et plus belle.