Vers l’autonomie des autonomistes - 2

Publié le par Herri Spohé

Vers l’autonomie des autonomistes - 2

Le paysage politique breton est mal en point. Mais la dynamique apportée par Christian Troadec permet enfin d’espérer un renouveau prometteur, pour ne pas dire un premier décollage historique. Nous souhaitons expliquer ici pourquoi nous pensons qu’elle peut (doit ?) prendre la forme d’une fédération ou coordination autonomiste/régionaliste bretonne de centre-gauche.

Le passif de l’UDB

Historiquement, le principal acteur autonomiste c’est l’Union démocratique bretonne, parti clairement ancré à gauche. Mais malgré cinquante années d’existence, ce parti n’a jamais connu le succès électoral. Trop rigide dans son organisation, trop focalisé sur son identité de gauche, le parti est même devenu un repoussoir pour trop de gens, y compris parmi ceux qui adhèrent complètement à ses idées. Si après deux voire trois décennies quasi désertiques en termes d’adhésion, une nouvelle génération motivée et inventive commence à apparaître sur le devant de la scène, il est difficile d’imaginer que l’UDB puisse un jour connaitre une nouvelle dynamique et percer électoralement. Le passif est trop lourd. L’UDB doit se dépasser, se réinventer.

Beaucoup de gens dans les milieux autonomistes fantasment sur le SNP écossais ou, plus réalistement, sur le Plaid Cymru. Créés respectivement en 1934 et 1925, ces partis n’ont émergé électoralement que dans les années 1960, et ne sont devenus des acteurs politiques incontournables de leur pays respectif qu’à partir de 1974. Avant cela, ils avaient créé une organisation solide (ce qu’a l’UDB, mais pas Christian Troadec), réunissant des milliers de militants (aucune organisation bretonne ne peut s’en prévaloir), et s’appuyant à partir des années 1960 sur des réseaux forts d’intellectuels et journalistes, de notables et d’élus locaux (ce que n’a jamais réussi à faire l’UDB, mais que Christian Troadec commence à concrétiser). Le Plaid Cymru, précocement soucieux des questions écologistes, a même réussi à devenir à la fois le parti autonomiste et le parti écologiste du Pays de Galles, ce que n’a pas réussi l’UDB, très largement dominée sur le plan écologiste par Les Verts. Bref, l’organisation qui pourrait éventuellement devenir le SNP ou Plaid Cymru breton reste encore à inventer.

L’exemple du Bloc Nationaliste Galicien

Fidèles à notre devise de partir du réel pour agir sur le réel, nous suggérons plutôt de prendre pour exemple le Bloc Nationaliste Galicien (BNG) qui est, comme son nom l’indique, un bloc, une fédération. En Galice également existait, au moment de la transition démocratique (fin des années 1970) un parti très fortement structuré, très idéologisé, très ancré à gauche : l’Unión do Povo Galego (UPG), créée comme l’UDB en 1964. L’UPG, pour faire rapide, c’est l’UDB en pire. De l’autre côté existaient des réseaux notabiliaires, et des leaders charismatiques à la tête de groupuscules, et notamment Xosé Manuel Beiras (à la tête du Partido Socialista Galego) et Camilo Nogueira (à la tête notamment du Partido Obreiro Galego puis de Esquerda Galega).

À l’initiative tout particulièrement de l’UPG, fut créé le BNG en 1982, aux règles moins strictes, aux pratiques plus pragmatiques et à l’idéologie progressivement plus modérée et large que celles de l’UPG. L’UPG continue toutefois à exister au sein du BNG, qui accueille progressivement des personnalités (telles Beiras dès 1982, qui en devient même le porte-parole) et des structures politiques telles le Partido Nacionalista Galego (un parti centriste), Inzar (un parti issu de l’extrême-gauche) ou le Partido Socialista Galego-Esquerda Galega de Camilo Nogueira… Ces partis continuent à exister au sein du BNG, avec leur propre vie interne, leurs propres règles et propositions. Mais le BNG est la structure publique, au projet populaire et pragmatique, machine électorale visant à peser politiquement au bénéfice de la cause nationale galicienne. Alors que le BNG ne pesait encore que 2,1% à l’élection législative de 1986, il atteint 24,8% à l’élection galicienne de 1997.

L’histoire du BNG n’est pas un long fleuve tranquille. Son ascension électorale ne date que des années 1990 (période durant laquelle il intégrera d’ailleurs le plus grand nombre de composantes), et il est en crise depuis 2012, qui a vu le départ de Beiras et de plusieurs composantes pour former Anova. Il s’appuie sur des réseaux sociaux, et notamment syndicaux, que n’ont ni l’UDB ni Christian Troadec. Mais globalement la période 1989-2012 du BNG peut servir de modèle pour l’évolution organisationnelle du mouvement autonomiste breton.

Pour une fédération autonomiste bretonne

L’idée serait, à l’issue de cette campagne des régionales, de créer une structure politique permanente où coexisteraient des partis politiques (tels l’UDB, le MBP, Breizh Europa voire le PB et Bretagne écologie) et des adhérents directs. Les partis préexistants continueraient à exister avec leurs propres règles, leurs propres réflexions idéologiques. Cette organisation aurait vocation à s’élargir succès aidant, en accueillant à plus ou moins long terme des réseaux issus des militants régionalistes/autonomistes des partis français (on peut penser tout particulièrement à EELV, au PS et au Modem).

Ainsi, les militants attachés au projet politique de l’UDB, à son fonctionnement collégial, pourraient continuer à faire vivre cette organisation, à publier Le Peuple breton (qui pourrait toutefois devenir le journal de la fédération), tout en participant à une dynamique politique plus pragmatique. Et pourraient cohabiter avec un Christian Troadec, rétif à des règles organisationnelles strictes. Et si l’UDB n’a jamais su attirer les notables régionalistes divers gauche, cette fédération relativement souple et ouverte pourrait leur permettre de s’insérer dans une organisation visant réellement à peser sur et dans les institutions.

L’idée ne serait pas du tout de faire une organisation ni droite ni gauche, ce vieux serpent de mer d’une union de toutes les composantes de l’Emsav. Ce serait l’échec assuré parce que cela n’a pas de sens politiquement (et que l’UDB n'intégrerait jamais une organisation ambiguë à ce niveau). Le BNG (pas plus que le SNP ou Plaid Cymru d’ailleurs) n’est pas du tout une organisation ni droite ni gauche. C’est au contraire un parti clairement ancré à gauche, avec une composante centriste. Les deux principaux réseaux pouvant aujourd’hui construire une telle organisation, les réseaux de l’UDB et ceux de Christian Troadec, sont à gauche ou au centre-gauche, et donneraient bien entendu leur empreinte idéologique à cette fédération. Cette fédération ne serait pas une plate-forme a minima du mouvement breton, mais un parti politique nouveau avec un vrai projet politique global. Elle aurait donc des propositions en matières sociales et économiques, en matières environnementales et éducatives et pas qu’en matières institutionnelles et culturelles. C’est même, certainement, la pertinence et la cohérence des propositions socio-économiques qui seront le levier vers de futurs succès électoraux.

Si la politisation d’une question bretonne est certainement plus difficile qu’ailleurs, l’insuccès historique de l’autonomisme breton n’est pas une fatalité. Le tout est d’inventer l’organisation qui saura porter la revendication autonomiste de manière durable et convaincante dans l’espace public, en partant de l’existant. La solution n’est ni dans l’homme providentiel ni dans le parti de militants ultra-convaincus mais dans une organisation souple qui saura intégrer militants de terrains et notables reconnus, leaders charismatiques et intellectuels respectés.

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